Magnifique article dans le Chroniqueur Suisse, journal politique  et littéraire, sur la source d’eau thermale, l’établissement et la Famille Staub du Chroniqueur Suisse du jeudi 23 juin 1870, même le triton de Saillon.

Tout y est !

VARIÉTÉS

LES BAINS DE SAILLON.

Sur la rive droite du Rhône, dans l’immense plaine qui s’étend de Riddes à Martigny, il est deux localités qui, quoique bien rapprochées, diffèrent essentiellement de caractère et d’aspect. L’une, assise à l’ombre des noyers, se laisse à peine entrevoir dans un océan de verdure; l’autre au contraire, ancien castel des ducs de Savoie, se dresse sur ton rocher, comme une sentinelle toujours aux aguets.

La Tour Bayart de Saillon
La Tour Bayart de Saillon

— Entre ces deux localités, entre Leytron et Saillon, il est une gorge étroite et profonde, qui apparait de loin comme une immense déchirure dans les flancs de la montagne. C’est là que nous nous permettrons de conduire aujourd’hui nos lecteurs. Outre les agréments d’une course fort intéressante et d’un site des plus pittoresques, je vous ferai voir une source, qui, si les circonstances l’eussent favorisée, aurait probablement éclipsé et laissé à cent pieds sous terre sa rivale et voisine, la trop fameuse source de Saxon.

Eaux de Saxon-les-Bains
Eaux de Saxon-les-Bains

Je ne sache pas qu’aucun voyageur ait décrit jusqu’à ce jour les Bains de Saillon ; ni Baedeker, ni Joanne ne les mentionnent. C’est ce qui m’engage à les tirer enfin de leur illégitime obscurité. Rendons a chacun ce qui lui est dû.
Pour se rendre à Saillon, on peut prendre le chemin de fer jusqu’à Riddes ou jusqu’à Saxon, suivant la direction d’où l’on vient. On traverse de là le Rhône, sur le premier pont que l’on rencontre. Vous côtoyez ensuite le fleuve; mais, hélas vous n’y découvrez ni bords riants et fleuris, ni prairies plantureuses à célébrer. Notaient quelques champs de maïs ou de blé, vous vous croiriez dans un désert, au milieu de steppes incultes. A qui la faute? Disons-le tout d’abord, au Rhône.

Glacier du Rhône vers 1900
Glacier du Rhône vers 1900

Bien différent du Nil, il ravage plus qu’il ne fertilise les contrées qu’il arrose ; il y apporte les miasmes et la fièvre, la désolation physique et morale…. Mais patience! Dieu et notre bonne mère le Confédération ardant, on parviendra à maîtriser ce fléau ; on musellera ce capricieux élément , on le fera rentrer dans son lit normal. Alors aussi de vastes terrains seront rendus à l’agriculture, à l’industrie, et le paya changera de face.
Tout en faisant ces réflexions, nous sommes arrivés au bord du petit torrent. Ici la nature commence déjà à prendre un autre aspect. Un sentier ombreux et sablé vous conduit en quelques minutes à une maison de modeste apparence, mais autour de laquelle tout respire l’ordre, l’économie, le travail.

La Maison Staub, les anciens moulins de Saillon
La Maison Staub, les anciens moulins de Saillon

A cette maison est annexé un moulin avec de nombreuses dépendances. — Adressez-vous au propriétaire , et demandez-lui à voir les sources.
Quelles que soient ses nombreuses occupations, il s’empressera de vous accompagner lui-même. Chemin faisant , vous ferez connaissance avec votre cicérone.
C’est un homme industrieux, serviable, doué d’une certaine instruction, ennemi de la fainéantise et du schlendrianisme. On reconnaît en lui de ces fortes races des Cantons primitifs, auxquels la Suisse est redevable de son existence et de sa liberté. Originaire du canton de Zoug, M. Staub est venu s’établir à Saillon, et il a acquis des deux communes copropriétaires la concession à terme limité des sources que nous allons visiter tout à l’heure. Avec l’intelligence dont il est doué, le concessionnaire des eaux de Saillon aurait pu , comme tant d’autres, emboucher les trompettes de la réclame, allécher les capitalistes par de pompeuses annonces, trouver des actions et monter, nous dit-on, une brillante affaire. Mais simple de goûts et de caractère, le laborieux par système, M. Staub a préféré gagner son pain tout en eu procurant à ses semblables…; j’oubliais de dire qu’il est meunier de son état. Cela ne l’a point empêché de tirer un bon parti des sources qu’il a louées. Il en a rendu l’accès plus facile, et il en a orné les alentours avec autant de simplicité que de bon goût.
Nous voici en face d’une sombre caverne, au fond de laquelle mugit une cascade. Une statue colossale se dresse à l’entrée de la grotte: on dirait un fabuleux triton, vomissant des flots d’écume par sa bouche large entr’ouverte. —

La Tête énigmatique de Saillon, Der Bund, 1869
La Tête énigmatique de Saillon, Der Bund, 1869

A côté de ces sublimes horreurs, la nature, toujours amie des contrastes, a placé des objets propres à produire en nous des impressions plus douces. Rien n’égale la fraîcheur et la pureté de l’air qu’on respire en ces lieux, ni la richesse de végétation qui s’y déploie. Une foule de plantes et de fleurs, dont quelques-unes très rares et très recherchées des botanistes, y croissent spontanément. La paroi des rochers est tapissée de verdure , et la teinte foncée des mélèzes sert d’encadrement au paysage.

Il est temps de visiter enfin la source de Saillon. Un escalier de 12 à 15 marches taillées dans le roc va nous conduire au bâtiment des bains , une simple baraque provisoire à cinq compartiments garnis de baignoires. C’est rustique et primitif, en attendant mieux.

Détail de la gravure du Bund de Berne
Détail de la gravure du Bund de Berne

Bâtiment des Bains de Saillon / Photogravure tirée du Bund de Berne 1869

On peut s’y baigner en toute saison, sans qu’il soit nécessaire de chauffer l’eau comme à Saxon, ou de la laisser refroidir comme à Louèche. La température constante est d’environ 20 degrés, et l’on en vante l’efficacité contre diverses affections, telles que constipation, goîtres, gale, etc.
La source proprement dite forme un petit bassin, à la disposition du public.

Cette source jaillissant juste à la limite de Leytron et de Saillon, il en résultait des contestations fréquentes. Pour mettre fin à un procès qui, grâce aux lenteurs proverbiales de la Thémis valaisanne, aurait pu durer in sœcula sœculorum. le Tribunal a eu cette fois-ci une inspiration digne de Salomon. Il a décidé que la source, objet du litige, appartiendrait par moitié aux deux communes rivales.

Il est temps de retourner dans nos pénates. Et si le bain et la promenade ont aiguisé votre appétit, si le besoin d’une halte se fait sentir, arrêtez-vous sans crainte au restaurant Staub. Sur une table où la propreté fait le principale luxe vous verrez se succéder de délicieuses truites, d’appétissantes côtelettes et du beefteak à faire envie à un anglais, le tout arrosé des excellents vins du Valais.

La Truite de Gustave Courbet ( Kunsthaus / Zurich)

Mme Staub est un cordon-bleu de première classe, et sa cuisine ferait honneur à plus d’un maître d’hôtel.
ll peut se faire que les bains de Saillon acquièrent un jour de l’importance et qu’on y construise un grand Hôtel. La position serait en effet admirablement choisie pour cela. On y jouirait d’un printemps perpétuel. Tout ce que nous pouvons souhaiter au futur (encore problématique) établissement c’est de conserver toujours sa simplicité naturelle et de ne dégénérer jamais en un foyer de corruption.