Avec le Français Jean-Jacques Fernier diminué physiquement et remplacé par l’Institut Courbet, puis avec l’Américaine Sara Faunce décédée en 2018 à l’âge de 88 ans, voilà deux personnalités qui se sont effacés du monde de Courbet. Ils ont oeuvré durant toute leur vie à faire vivre la mémoire et les tableaux de Gustave Courbet à travers le monde. Ils se sont voués sans borne à l’étude de l’artiste d’Ornans et délivré des avis.

Le Roi est mort, vive le Roi ! Le trône est laissé vacant et les loups sortent du bois, même les rapaces sont autour de la table. Gustave Courbet qui fête cette année son  bicentenaire doit se retourner dans sa tombe en assistant à ces luttes de clans. 

Voilà Güdel qui proclame également feu Klaus Herding comme expert de Gustave Courbet. Celui-là s’attribue aussi le titre d’expert de Ferdinand Hodler.

On se réjouit de connaître l’avis de l’équipe de Paul Müller de l’Institut Suisse de l’Art de Zurich qui a réalisé les catalogues raisonnés d’Hodler. En recherchant les auteurs du C.R. de Ferdinand Hodler, on découvre les noms d’Oskar Bätschmann, de Paul Müller, de Regula Bolleter, de Monika Brunner, de Matthias Fischer, de Matthias Oberli, de Bernadette Walter, de Sabine Hügli-Vass, de Milena Oehy,  de Marie Therese Bätschmann….Mais aucune trace du nouvel expert !

La technique pour éviter les 2 experts mondiaux est assez facile : trouver un bon écrivain d’art qui a entre autre découvert et exposé plus d’une centaine de tableaux de Courbet qui se sont avérés par la suite de faux Courbet et de lui laisser émettre un avis qui pour le musée de Delémont peut paraître plausible.

 

L’expertise du tableau de Delémont attribué faussement à Gustave Courbet par le Prof. Klaus Herding

Expertise concernant un Paysage du Jura, tableau huile sur toile, signé G. Courbet et daté de 1872, vu et examiné par le soussigné le 28 janvier 2017.

1° Attribution

Pour les raisons présentées ci-après et après avoir examiné l’original du présent tableau centimètre par centimètre, nous voulons bien confirmer qu’il s’agit sans aucun doute d’une peinture de la main de Gustave Courbet, terminée et datée de sa main en 1872. Les mesures de 104 x 129 cm correspondent à celles des toiles attestées de Courbet.

2° Sujet et saison

Le tableau en question représente un paysage jurassien, sujet préféré de Courbet et fort aimé des Parisiens désireux de la fraîcheur de campagne : une vallée rocheuse, un chemin avec traces de charrettes, un ruisseau couvert d’un pont à l’arc en anse de panier. Le feuillage des bouleaux et des buissons renvoie à la mi-septembre, saison que Courbet passait régulièrement à Ornans, sa petite ville natale.

3° Technique

À première vue, l’observateur remarque que l’auteur du présent tableau s’est servi de deux procédés, l’un détaillé voire méticuleux, l’autre sommaire, appliquant la couleur à gros coups de pinceau sur la toile (sans cependant se servir d’un couteau à palette, cher à Courbet). Après avoir examiné en détail la surface de la peinture, nous en arrivons à la conclusion que les parties traitées de façon sommaire, surtout en bas à gauche, ne contredisent guère les parties méticuleuses, mais que le peintre a eu des raisons pour achever cette œuvre rapidement, en vue d’une vente imminente. À ce titre, le chemin, notamment les couches grises ici dominantes, ainsi que la falaise noire qui s’élève à gauche du pont et du ruisseau, méritaient d’être examinés particulièrement : cette partie-là (y compris le fond vert à droite de la falaise noire) sont en effet d’une facture plus négligente pour ne pas dire plus faible que le reste. On pouvait même se demander si c’est le travail d’un élève de Courbet ou bien si celui-ci a voulu accélérer le procédé. Après avoir examiné l’original, c’est cette deuxième hypothèse que nous soutenons. La principale raison pour faire vite, était, après la Commune, le désir du peintre de produire le plus possible de tableaux afin de couvrir les frais de la reconstruction de la colonne Vendôme dont l’abattage fut porté à son débit.

Comme la conception du tableau rappelle les tableaux des années 1860 plutôt que ceux de 1872, l’on peut ou bien contester la date inscrite ou bien admettre que le peintre s’est servi d’une toile non finie d’une période antérieure qu’il avait intérêt à compléter pour la vente chez Durand-Ruel à Paris, l’un des grands succès de Courbet. Là encore, la deuxième hypothèse doit l’emporter : le tableau, sans doute commencé vers 1864, a été achevé et daté en 1872.

4° Coloris

Les couleurs, opaques et transparentes, se tiennent à l’intérieur de la gamme des quatorze tons préférés par Courbet, à savoir : noir, brun foncé, brun clair, rouge, orange, beige, jaune, bleu ultramarin, bleu de cobalt, gris foncé, gris clair, noir, vert turquoise, vert épinard. On appelle ces tons « couleurs de terre ». La toile fut d’habitude, comme dans le présent tableau, préparé par Courbet par une couche noire. Ce noir sous-jacent apparaît à la surface pour pénétrer à travers les tons verts, gris et blancs superposés. Le bouleau central est mis en relief par des applications de blanc plus fortes que les autres ; il tient ainsi la place d’un personnage principal, ce qui contredit un peu l’habitude de Courbet de garder une sorte d’égalité ou d’équilibre des couches de couleur. Cette particularité ne permet cependant pas mettre en doute cette partie, Courbet faisant preuve de maints actes arbitraires de pareille sorte.

Ce qui est un autre signe de certitude, ce sont les couches de brun-clair alternant avec le vert à maints endroits du tableau, en somme plus d’une vingtaine de fois, témoignant d’une transparence qui caractérise bien Courbet et que ses imitateurs n’ont guère réussi à imiter. D’autre part, les trois petits boutons de rouge qui apparaissent vers le milieu du tableau, à mi- chemin entre le panneau et le ciel, proche de la limite du côté droit du vallon, valent presque une preuve d’authenticité ; on les trouve dans d’autres tableaux des années 1860, notamment dans la Source du Lison de la Nationalgalerie de Berlin (1864).

5° Inscriptions :

La signature et la date sont faites d’un seul jet ; si l’on conteste la date, il faudrait contester également la signature. Cette signature ne porte cependant aucun indice de contrefaçon ; elle est conforme aux signatures authentiques, bien que le ton jaune-couvert de la couleur soit plutôt rare dans l’œuvre de Courbet, les couleurs habituelles étant le rouge et le noir. Ce qui confirme l’authenticité de la signature, c’est d’une part le fait que l’écriture penche légèrement vers la gauche, d’autre part le trait diagonal en tête de l’arc du C initial, et encore les traits verticaux séparés du « u ». On trouve des signatures comparables dans le catalogue raisonné de Fernier, vol.2, p. 334-336, notamment les numéros 31 (1864), 39 (1866), 46 (1868), 57 (1871) et 67 (1873), ce dernier étant par ailleurs le seul exemple de Fernier avant l’exil suisse de Courbet, où la signature précède la date à l’instar du présent tableau.

Quant à la date, on peut se demander si le « 2 » n’était pas à l’origine plutôt un « 1 », la verticale du « 2 » étant quelque peu raide.
L’inscription sur le panneau indicateur au milieu du tableau est illisible.

6° Autres observations

Les nuages ajoutent une qualité importante au tableau, affranchissant la composition de tout flair de « beau idéal » académique sans pour autant assombrir le paysage. C’est un pas important et bien mesuré de Courbet pour arriver à un concept réaliste de la nature.
Un examen détaillé des couches jaunes placées au-dessus de la signature nous a mené à exclure la possibilité d’une inscription supplémentaire à cet endroit.

La peinture a été rentoilée, sans doute pour mieux préserver la toile qui a visiblement souffert à quelques endroits, sans que cela ait causé un dommage important.

7° Provenance

La recherche que nous avons entreprise autour du tableau, est restée sans résultat :
Aucun des tableaux peints entre 1871 et 1874 compris dans le catalogue raisonné de Fernier – catalogue d’ailleurs peu fiable, comme nous l’avons remarqué dans notre compte rendu d’alors (Pantheon, nouvelle série, 39, 1981, n° 3, p. 282-286) – ne ressemble exactement au présent tableau, bien que le n° 788 et le n° 836 montrent un peu les petites hachures mentionnées ci-dessus, et que, dans le n° 845 et le n° 919, les falaises sont légèrement comparables. Nous avons cependant eu entre les mains certains tableaux plus similaires à la toile en question. Aucun des tableaux mentionnés n’a une provenance douteuse.
Le cas du présent tableau, situé à Düsseldorf jusqu’en 1939, trouve à raison l’attention particulière de l’acquéreur. Comme nous venons de faire l’expertise des tableaux de Courbet venant du fameux collectionneur Gurlitt, nous avons mis en relation Monsieur Güdel avec les personnes engagées à la recherche de provenance de cette collection. Nous l’avons également informé du fait que Madame Sarah Faunce, du Brooklyn Museum à New York, a été la dernière personne à préparer un nouveau catalogue raisonné des œuvres de Courbet et que l’on ne saurait exclure la possibilité que dans ses notes, on retrouve la trace du présent tableau.

Frankfurt am Main,

le 04 février 2017

Klaus Herding professeur d’histoire de l’art

 

 

 

 

Et voici les conclusions de Güdel qui se cache derrière l’avis de feu Klaus Herding.

 

CONCLUSIONS

Considérant l’ensemble des éléments présentés dans ce rapport, le soussigné est en mesure d’assurer que les recherches ont été menées dans les règles de l’art et conclut :
1) que l’œuvre léguée par Hugo Berthold Saemann à la République et Canton du Jura est une toile authentique de Gustave Courbet et représente un intérêt certain pour l’étude des paysages de ce peintre ;
2) que le tableau se trouve dans un bon état de conservation ;
3) qu’il présente une valeur historique, artistique et financière non négligeable ;
4) que, sous réserve de découvertes ultérieures, toutes les pistes ont été épuisées en vue de clarifier sa provenance ;
5) que ces recherches n’ont abouti à aucun résultat probant ;
6) que l’œuvre ne présente aucun indice de provenance douteuse ;
7) que le présent rapport fait état de la bonne volonté du légataire d’établir l’authenticité et la provenance du tableau avant l’acceptation du legs.
Le Centre du droit de l’art (CDA) de l’Université de Genève a procédé à des recherches complémentaires, principalement dans les bases de données lootedart.com et Art Loss Register, et a pris contact en vue de recueillir des avis supplémentaires avec la Galerie Bernheim-Jeune à Paris et Mme Sarah Faunce. Les résultats de ces démarches sont présentés dans l’avis de droit établi par le CDA.
Les recherches ont été réalisées par le soussigné entre novembre 2016 et mai 2017. Elles reposent notamment sur les avis et les pistes suggérées par les principaux spécialistes de l’œuvre de Gustave Courbet, ainsi que sur les échanges avec le Centre du droit de l’art de l’Université de Genève.
Delémont, le 22 mai 2017.