Après avoir remis son officine, le pharmacien Burkhard Reber (1848-1926) se voue à des recherches en anthropologie, archéologie, numismatique, histoire de la pharmacie et de la médecine.

Burkhard Reber (1848-1926)
Burkhard Reber (1848-1926)

De passage pour trois jours entre les deux villages où il a fait des recherches,  il écrit en 1898 ce texte intitulé :

Environs de Leytron et de Saillon

A différentes époques on a trouvé dans les environs de Leytron. soit par hasard, soit en travaillant les vignes, ou en défrichant du terrain, des tombeaux antiques. C’était le cas encore dernièrement et M. Correvon, botaniste à Genève, a bien voulu m’en rapporter quelques ossements. En me rendant à l’endroit, j’eus bientôt examiné de nombreuses places des environs qui avaient fourni des tombeaux et d’autres antiquités et dont je fais suivre ici le court récit.

Leytron

Le joli village de Leytron, situé entre deux torrents, la Losenze et la Salenze, est fort ancien. Les Romains y habitaient déjà comme le prouvent de nombreuses antiquités, monnaies, tondalions de maisons, etc.

« Aux Prix », au sud-ouest du village, dans une vigne, on a rencontré aussi de nombreuses pièces de poterie.

Leytron, village dans les vignes au pied de l'Ardévaz
Leytron, village dans les vignes au pied de l’Ardévaz

La route romaine de la rive droite du Rhône, car il y en a une également sur la rive gauche, menant de Martigny (Oelodurum) par Saillon, Leytron, St-Pierre de Clages à Sion, est praticable par places encore aujourd’hui. Au-dessous du village à la Combe et à Gendolin, elle passe dans les champs et piés, mais on la reconnaît quand même partout, par places on remarque même aujourd’hui encore deux lignées de vieux ormes, une de chaque côté.

Ici on l’appelle la Rouaz topa (rue sombre). La «rue» venant du village de Leytron et allant à la gare de Riddes, se croise justement avec la Rouaz topa. A cet endroit, un chercheur de trésor, en creusant jusqu’à huit pieds de profondeur a trouvé une cinquantaine de monnaies romaines, un beau poignard (le tout égaré à présent) et un bloc de marbre taillé, du Jura, de 30 centimètres d’épaisseur, 60 centimètres de largeur, mais brisé, de sorte qu’il est impossible d’en donner la longueur originale ; le morceau en question n atteint pas un mètre. On prétend que sur l’autre morceau on apercevait des signes. Comme, on a trouvé en même temps de très nombreux tombeaux et des ossements humains en masse, il est très probable que le bloc taillé n’est autre chose qu’une pierrre tombale, un monument funéraire de 1 époque romaine.

La source des bains

Je crois devoir ranger parmi les traces romaines également le captage de la « source chaude » ou « les Bains », situé à l’entrée des gorges de Saillon, encore sur le terrain de la commune de Leytron, mais formant juste la limite. Cette source tiède ferrugineuse sort de la paroi rocheuse gauche des gorges du Saillon, a environ 10 mètres de hauteur. On remarque parfaitement que très anciennement on a un peu arrangé un petit bassin, qu’on appelle « les Bains ».

Les habitants de Saillon et de Leytron les fréquentent régulièrement, même en hiver, car cette eau ne gèle jamais; au contraire en hiver elle semble être beaucoup plus chaude. Sa réputation comme eau curative est telle qu’on y amène même des malades de très loin pour les baigner dans ce bassin primitif et en pleine nature. A cet endroit, la Salenze passe sous une voûte de tuf, mais partout on remarque des entailles dans la roche, pour l’ajuster, même des murs, de établissement de bains, très primitif probablement, mais en tous cas mieux organisé qu’aujourd’hui. On connaît le goût des Romains pour les Romains pour les eaux curatives, et surtout pour les sources chaudes. Il serait donc étonnant, que les Romains établis à Saillon et à Leytron n’aient pas connu cette source visible de loin surtout en hiver, à cause de la « fumée » qui s’en dégage. En tout cas la jeunesse de notre époque des deux endroits voisins apprécie encore beaucoup la qualité de cette eau et peut-être aussi ce coin retiré, très pittoresque, poétique même. Elle fréquente ces bains régulièrement et si par hasard deux bandes se rencontrent, on se livre à une bataille régulière pour savoir laquelle des jeunesses, celle de Leytron ou de Saillon se baignera la première.
Evidemment les vainqueurs entrent triomphalement dans le bain, mais les vaincus, après cette petite épreuve de patience, sans tenir compte de la légère humiliation, les suivent non moins joyeusement, et à leur tour se livrent à cette ablution salutaire au soleil et en piein air.

Tête du géant

La voûte en tuf au-dessous présente une curiosité. Surtout de loin, c’est-à-dire depuis le bas des gorges, sa formation présente une énorme tête d’homme. On l’appelle la « Tête du Géant ». J’ai trouvé la fiction assez parfaite. Une fois qu on en est bien convaincu on peut s’approcher assez près, sans la perdre des veux: on voudrait même n’y voir que la masse informe de tuf qu’on ne pourrait plus, toujours la tête vous revient, absolument comme depuis Genève la tête de Napoléon Ier au Mont-Blanc. Du reste, le campagnard a plutôt des tendances mystiques et il aime beaucoup comparer les rochers, même des montagnes entières à des figures, soit humaines ou d’êtres fantastiques comme des géants, des coboldes, soit à celles des bêtes.

Tête du Lion de l’Ardévaz

Nous voyons dans cette contrée un second exemple. A mi-hauteur de la montagne Ardevaz qui s’élève juste au- dessus de Leytron, on voit la « Tête du Lion ». J’avoue qu’il faut de la bonne volonté pour la reconnaître; mais les gens du pays prétendent la voir très bien.

Les Tombeaux de Leytron

Des tombeaux, dont il sera à présent question, appartiennent, malgré le manque total d’objets qui pourraient donner des indications directes, à une époque plus antérieure. Le terrain où se trouvent les tombeaux, très dur, également tassé et solidifié, planté dessous des ardoisières de Leytron. Ces tombeaux qui se trouvent à un mètre et plus de profondeur, tous entourés et couverts de dalles brutes, ont le plus souvent  subi un remplissage de terre. Les crânes et les ossements sont bien conservés, la capsule crânienne a souvent jusqu’à un centimètre d’épaisseur et est d’une blancheur extraordinaire.
Il n’y a point de direction observée pour la mise des corps en terre, ils sont enterrés un peu pêle-mêle. Les mieux observés de ces tombeaux étaient situés au coin sud- ouest de la grande pierre (longue de l’est à l’ouest de 10 mètres, large du sud au nord de 7,50 mètres) qui forme la limite de la Clive et des vignes, plantées sur le terrain défriché. Malheureusement personne n’a pris soin de ces tombeaux.

Comme on sait que, dans le terrain original non défriché, on rencontre ici sur une grande surface des tombeaux un peu partout, mais sans qu’extérieurement on le remarque, nous avons au hasard commencé à creuser, et nous avons eu la grande surprise de tomber sur un vieux « Bisse » parfaitement reconnaissable par la grande lignée de dalles brutes arrangées de façon à se couvrir l’une l’autre un peu, dans la direction du courant d’eau, provenant, comme le genre de sable du fond le prouve, de la montagne de Leytron ou du Muveran.
Cette conduite d’eau, dont personne ici n’a naturellement pu supposer l’existence, doit être très ancienne.

Les dalles ressemblent à celles des tombeaux, cependant on se demande si les habitants préhistoriques avaient été déjà de force à construire des bisses venant de si loin. Pour les Romains on en a les preuves. Mais à ce sujet, il faut encore faire remarquer une fois de plus, que les Romains se servirent volontiers d’anciennes institutions pratiques, souvent en les perfectionnant de suite.
C’est ce qui a pu arriver avec les aqueducs ou bisses dans le Valais, car sans contredit, cette manière de conduire beau des sources et des glaciers des hautes montagnes sur les terres cultivées plus bas, partout où elle pourrait manquer par la sécheresse de l’été, est la première condition de la richesse du pays.
En revenant à nos tombeaux, il faut ajouter qu’on en trouve non seulement à la Clive, mais un peu partout dans la contrée. Au nord du Village de Leytron, en creusant en 1878 les fondations de la maison Cheseaux, on a déterré, à plus de deux mètres de profondeur, deux de ces tombeaux en mêmes dalles en matière erratique. Il faut en conclure, qu a cette époque les grandes ardoisières n avaient pas encore été découvertes. Il en est de même à l’endroit appelé Bozat au sud-ouest du village, au bord d’un ancien éboulement colossal, dans une vigne, où un tombeau toujours pareil a été trouvé.

Le Lac du Rhône

J’arrive maintenant à une sorte d’antiquité bien intéressante et qui a également des analogies dans le Valais. Il s’agit de fondations ou de sous-murs de constructions anciennes et abandonnées; du moins la population actuelle raconte que, lorsque le Rhône était encore un lac, l’eau montait jusqu’ «aux Zafforets», presque à la hauteur de Montagnon, endroit où, en effet, on remarque un certain nombre de ces très anciennes ruines de constructions primitives appelées «chesal», ce qui signifie dans le patois du pays, les restes d’un vieux chalet ou d’un raccard (grenier). La croyance populaire attribue donc ces chesals à la première population, aux premiers habitants du pays, ce qui est fort possible. Ajoutons, avant d’entrer dans des détails, qu’on en a remarqué non seulement «aux Zafforets», mais déjà un peu plus haut que les tombeaux de la Clive, d’où on monte aux Zafforets ce qui met les deux endroits en rapports directs. Le plus célèbre de ces chesals est situé «aux Combes», à 3 heures et demie ou 4 heures de Leytron, très haut déjà dans la montagne. On me racontait que les murs sont encore visibles et que près de ce chesal considérable on remarque une petite place dallée, entourée d’un cordon ou bordure de pierres levées. C’est la place qui servait aux habitants de ce chesal pour battre leur blé avec les fléaux.
Quoique ce soit aujourd’hui une contrée sauvage, on voyait ici, à une époque lointaine, des champs, des arbres fruitiers et du blé.
C’est une bien curieuse légende. Mais ailleurs dans le Valais, on en conte d’autres y analogues, comme par exemple que, là où l’on voit aujourd’hui la glace éternelle, se trouvaient autrefois des vignes, des jardins, très souvent les plus beaux pâturages. J’en mentionnerai dans le courant de ces communications.
Aux Zafforets, ces chesals sont très visibles, les murs réguliers, mais sans mortier, sont souvent encore presque entièrement conservés. J’ai mesuré un mur dans la direction du nord au sud-ouest de 16 m. 50 de long, à un endroit de 85 centimètres de hauteur. L’angle au sud-est de cette construction est parfaitement intact. Un autre tronçon de mur se dirige encore du côté sud-est dans la direction sud-ouest. Ce sont donc visiblement les soubassements d’une construction assez étendue. Une preuve de l’ancienneté de ces constructions, sans compter la vieille forêt qui remplit tous les emplacements de ces chesals, c’est le vieux tronc pourri d’un chêne, coupé il y a peut-être plus d’un siècle, et qui se trouve précisément dans l’intérieur de l’angle de la construction, ci-dessus mentionnée. Son diamètre mesure 95 centimètres.

Il a fallu du temps pour former un arbre de cette dimension. Tout cela nous porte bien en arrière, mais ne nous donne néanmoins point d’indications directes ni sur les habitants, ni sur l’époque de ces mystérieuses agglomérations (villages) de maisons. Il faudrait des fouilles systématiques, qui un beau matin, seront peut-être exécutées; qui vivra, verra. Ajoutons aussi la Buitaz de la Barma (Grotte aux Fées) à l’est du village, un peu plus loin que les tombeaux de la Cliva, aujourd’hui abimée, parce qu’on a fait sauter le rocher du côté nord-ouest, qui mettait l’intérieur précisément à l’abri. Le fond est jonché de débris. Il y a plusieurs cheminées qui mènent un peu dans toutes les directions. Peut-être a-t-elle servi d’abri à des habitants dans des temps passés, en tous cas avant la destruction, elle se prêtait fort bien à cet effet.

Les diablats de Dugny

Puisque j’en suis aux localités ayant donné naissance à des légendes, je dirai en passant, qu’au dessus de Dugny, un peu vers les gorges de Saillon, se trouvait anciennement un immense bloc erratique appelé la Pierre (le Dugnyque les «diablats» (mauvais esprits de la montagne) menaçaient de rouler sur le village. En cas de danger, on sonnait toujours la Madeleine, seule cloche du village, ce qui rendait impuissants ces êtres diaboliques; mais pour en finir radicalement avec ces menaces des diablats, les gens de Dugny, non sans force bénédictions, ont fait sauter ce bloc en mille morceaux, afin d’enlever complètement toute trace.
C’est aux mêmes diablats, qu’on doit déjà l’éboulement immense qu’on voit entre Leytron et Saillon et qui est très bien caractérisé par la surface du terrain et les gros blocs de roche grise qui se sont arrêtés dans la plaine.

Tombeaux à Saillon au « Zile »

En défrichant du terrain pour y planter une vigne, on a trouvé absolument des mêmes tombeaux qu’à la Clive, sans ordre dans la direction, en dalles, dans une terre très ferme, à l’endroit appelé «Zile» au nord-est, mais tout près de Saillon. Sur un petit emplacement, on a sorti, sept constructions en dalles, employées aujourd’hui dans un mur d’entourage de la vigne, tenait plus que des traces d’ossements, ils étaient complètement «fuses» par le temps. Dans chacun des cinq autres tombeaux gisait un seul corps, tous très bien conservés, les crânes très blancs et les capsules crâniennes d’une remarquable épaisseur.

Après les avoir pendant très longtemps suspendus aux branches d’un groupe de frênes, ces crânes sont tombés entre les mains d’enfants qui les ont détruits. Les constructions en dalles étaient ici très bien conservées, quelquefois un peu remplies de terre, mais toutes sans aucun objet, pouvant fournir un renseignement sur l’époque de. ces sépultures.

Ce récit, quoique très court, sur les traditions, légendes et antiquités des environs de Leytron, suffit cependant pour reconnaître la richesse d’anciens vestiges conservés encore dans cette partie du Valais, comme partout dans ce canton remarquable. Et ce que je raconte ici, est le résultat de trois jours de recherches seulement. Aussi, je me promets de retourner dans ce joli coin, un peu retiré dans la Vallée du Rhône, afin de continuer mes recherches, qui, comme on le voit, sont déjà d’une certaine importance.

Extrait du livre « Antiquités et Légendes du Valais » de B. Reber
Genève – Imprimerie centrale et du « Genevois », B. James-Fay, 17 – 1898

Reber, Burkhard

11.12.1848 à Benzenschwil, 9.6.1926 à Plainpalais (auj. comm. Genève), cath., de Benzenschwil et Genève. Fils de Joseph et de Catherine Kaufmann. Célibataire. Stage dans une pharmacie à Weinfelden (1868-1870), études de pharmacie à Neuchâtel, Strasbourg et à l’EPF de Zurich. Premier pharmacien hospitalier de Genève, R. fut directeur de la pharmacie de l’hôpital cantonal (1879-1885). Pharmacien à Genève (1885-1893). Rédacteur et directeur de la revue de pharmacie et de thérapeutique Le progrès (1885-1889). Membre du Conseil municipal (législatif) de Genève et député au Grand Conseil. Privat-docent à l’université de Genève, conservateur du Musée épigraphique. Membre de nombreuses sociétés, dont la Société d’histoire et d’archéologie de Genève dès 1888. Après avoir remis son officine, R. se voua à des recherches en anthropologie, archéologie, numismatique, histoire de la pharmacie et de la médecine.

Oeuvres
– P. Hugger, éd., « O! Freundschaft, du machst mich fast betrunken! », 2008 (journal)
Bibliographie
Cat. des ouvrages, articles et mém. publiés par le corps professoral de l’université de Genève, 1916, 309-327 (liste des œuvres)
BHG, 5, 1925-1934, 86-87
Journal suisse de pharmacie, 65, 1926, 310
BLAG, 605-606

Auteur(e): Patrick Zehnder / DVU