Collection Monsieur et Madame Robert Schmit, Part II

24 March 2022 • 15:00 CET

• Paris

Gustave Courbet

La Pauvresse de village

Estimate:

700,000 – 1,000,000 EUR

Lot sold:

1,729,000

EURView full screen - View 3 of Lot 115. La Pauvresse de village.View full screen - View 2 of Lot 115. La Pauvresse de village.

 

 

 

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Gustave Courbet

1819 – 1877

La Pauvresse de village

signé et daté ..66 / G. Courbet. (en bas à gauche)

huile sur toile

86,2 x 127,1 cm; 34 x 50 in.

 

Provenance :

 

Vendu par l’artiste à M. Laurent Richard, 1867, pour 4,000 FF

Jules-Antoine Castagnary (1830-1888), Paris

Collection Dreyfus, Paris

Sa vente: Hôtel Drouot, Paris, 7-8 avril 1876, lot 4 (sous le titre Effet de Neige) pour 2,550 FF

Goupil, Paris (acquis lors de cette vente)

Daupias (acquis auprès du précédent)

Collection particulière (en 1906)

Dr. Hugo Nathan (1861-1922), Francfort (en 1921)

Par descendance à son épouse Martha Nathan, Francfort, Paris et Genève

Confié à Justin K. Thannhauser par Martha Nathan en 1939 et prêté par Thannhauser à la National Gallery à Washington DC en février 1942

Vendu par Justin K. Thannhauser en 1947

Probablement acquis auprès du précédent par Major L.M. Bloomfield (1906-1984), Québec (certainement en 1954)

Collection particulière, Montréal (en 1979 et 1987)

Galerie Schmit, Paris (en 1989 et 1995)

Collection particulière, Suisse (en 1994)

Collection particulière (en 2007)

 

 

Littérature :

 

 

Jean Bruno, Les misères des gueux, Paris, 1872, gravé p. 161 (sous le titre La Veuve au fagot)

Georges Riat, Gustave Courbet Peintre, Paris, 1906, reproduit p. 249, pl. 60

Julius Meier-Graefe, Courbet, Munich, 1921, reproduit p. 97

Charles Léger, Courbet, Paris, 1929, p. 126, no. 38

Gertstle Mack, Gustave Courbet, New York, 1951, cité pp. 211, 216 et 220

Pictures of Everyday life, Genre Painting in Europe, 1500-1900 (catalogue d’exposition), Pittsburgh, 1954, no. 73 reproduit

Gustave Courbet (catalogue d’exposition), Paris, 1977-78, reproduit p. 194, no. 103

Robert Fernier, La vie et l’œuvre de Gustave Courbet, Paris, 1979, tome II, reproduit p. 19, no. 550

Pierre Courthion, Tout l’œuvre peint de Courbet, Paris, 1987, reproduit p. 103, no. 533

Jean-Jacques Fernier, Jean-Luc Mayaud, Patrick Le Nouëne, Courbet et Ornans, Paris, 1989, reproduit pp. 64-65

Bruno Foucart, Courbet, Paris, 1995, reproduit p. 133

Impressionnisme, Les origines 1859-1869 (catalogue d’exposition), Paris-New York, 1994, reproduit p. 249, no. 313, cat. 46

Ségolène Le Men, Courbet, Paris, 2007, cité p. 24, reproduit p. 159, no. 123

 

 

Expositions :

 

Paris, Rond-Point du Pont de l’Alma, Champs-Elysées, Exposition des Œuvres de M. G. Courbet, 1867, no. 38

Paris, Galerie Bernheim-Jeune, Exposition de Paysages impressionnistes, 1920, no. 3 (sous le titre La fagotière)

Zürich, Kunsthaus, Gustave Courbet, 1935-36, no. 92

Paris, Galerie Paul Rosenberg, Le Grand Siècle, 1936, no. 12

Buenos Aires, Museo Nacional de Bellas Artes ; Rosario, Museo Municipal de Bellas Artes Juan B. Castagnino ; Montevideo, Salón Nacional de Bellas Artes, La Pintura Francesa de David a nuestros días, 1939-40, no. 26 (sous le titre Mujer pobre del Pueblo)

Rio de Janeiro, Museu Nacional de Belas Artes ; Montevideo, Salón Nacional de Bellas Artes, Exposição de pintura francesa, seculos XIX e XX, La Pintura francesa: de David a nuestros días, 1940

San Francisco, M.H. De Young Memorial Museum, The painting of France, since the French revolution, 1940-41, no. 15

New York, The Metropolitan Museum of Art, French Painting from David to Toulouse-Lautrec, 1941, no. 20

Los Angeles, County Museum, The Painting of France since the French Revolution, 1941, no. 20

Washington DC, National Gallery, French Government Loan, 1942-45, no. 11 (sous le titre Wood Gathering, gallery no. 71)

Washington DC, National Gallery, French Paintings on Loan from the French Government, 1945-46

Pittsburgh, Carnegie Institute, Pictures of Everyday life, Genre Painting in Europe, 1500-1900, 1954, no. 73

Paris, Grand Palais, Gustave Courbet, 1977-78, no. 103

Paris, Grand Palais et New York, The Metropolitan Museum of Art, Impressionnisme, Les origines 1859-1869, 1994-95, no. 46

 

 

 

Cette magistrale composition de Courbet, représentant une femme courbée par le poids de son fagot, marchant péniblement dans la neige, est l’une des dernières œuvres de l’artiste marquées par un fort sentiment de réalisme social, à être présentée sur le marché. Depuis 1876, elle n’a pas reparu en ventes aux enchères.

Conservé dans des collections de passionnés, le tableau est resté dans un état de conservation admirable : la matière de Courbet, jouant sur le contraste entre empâtements et finesse de la couche picturale, son pinceau vif et nerveux, sa touche lumineuse et parfois large, sont encore bien présents dans ce tableau majeur.

« Et la neige ! [Courbet] a peint la neige comme personne. »

La Pauvresse de village, œuvre d’un beau format peinte en 1866, présente l’intérêt de rassembler plusieurs thèmes importants chez Courbet : la pauvreté et le monde rural, la Franche-Comté (région natale de l’artiste), le paysage de neige, et la notion de route, d’errance.

La Pauvresse de village

Parfois intitulé La femme à la chèvre, La Pauvresse de village montre au premier plan une femme ployant sous le poids d’un fagot qu’elle tient d’une main sur son dos, l’autre main étant occupée à tirer une chèvre rétive. Son corps courbé vers l’avant exprime lassitude et fatigue. Devant elle, une fillette marche, portant fièrement dans ses bras une grosse miche de pain. L’attitude de l’enfant au pas vif contrastant avec celui de la mère, pourrait indiquer que Courbet évoque une scène dont il a été témoin et qui l’a frappé.

Un vaste paysage entièrement recouvert de neige entoure le trio. La lumière du soleil couchant venant de la droite, illumine l’espace immaculé qui scintille d’infinies nuances. Au premier plan, les ombres démesurées des personnages, débordant du cadre de la toile, envahissent le chemin qu’elles assombrissent des longues obliques inquiétantes du crépuscule. Elles semblent faire écho au ciel chargé de nuages menaçants.

Le caractère potentiellement anecdotique et misérabiliste du sujet intéresse peu Courbet, même s’il attribue une taille significative au pain et au fagot qui procureront nourriture et chaleur à la fagoteuse et sa fille. C’est au moyen de recherches purement structurelles et picturales qu’il crée un magnifique paysage hivernal, d’une grande présence picturale. La quasi bichromie et le fort contraste des ombres et des lumières confèrent au tableau une atmosphère atemporelle, intensifiée par la parfaite frontalité des trois silhouettes sombres, vues à contre-jour. La neige réverbérant la lumière des derniers rayons du soleil enveloppe les silhouettes d’un manteau de cristaux irisés et transfigure l’humble cortège traversant silencieusement l’espace dépouillé et glacial en une apparition féérique.

Porteuses de fagot

Sujet très populaire au XIXe siècle auprès des peintres d’inspiration réaliste et naturaliste, ce thème évoque la dureté de la vie des déshérités, des pauvres de la campagne vivant de presque rien et cherchant dans la forêt de quoi se nourrir et se chauffer.

FIG. 1 FRANÇOIS MILLET, L’HIVER, LES BÛCHERONNES © NATIONAL MUSEUM OF WALES, CARDIFF

Le fagot lui-même, écrasant parfois de son poids la porteuse, symbolise pour certains le fardeau pénible de la vie. C’est peut-être le message de Jean-François Millet dans L’hiver, les bûcheronnes (fig. 1, 1868-1874, National Museum of Wales, Cardiff, NMW A 2478) d’un grand pouvoir émotionnel. D’autres artistes choisissent de montrer, voire de dénoncer, le sort inacceptable de ces malheureux, tel Octave Tassaert dont la Ramasseuse de fagots (musée des Beaux-Arts, Caen, inv. PE024915) représente avec compassion une fillette épuisée assise sur son fagot.

FIG. 2 GUSTAVE COURBET, LES CASSEURS DE PIERRE (DÉTRUIT)

Courbet peint un certain nombre d’œuvres consacrées aux travailleurs et aux pauvres, dont Les casseurs de pierre (fig. 2, 1849, détruit), Les cribleuses de blé (1855, musée des Beaux-Arts, Nantes, inv. 874), La laitière de Saintonge(1862, vente Sotheby’s Londres, 1er décembre 1999) ou encore Le déjeuner du casseur de pierres dont il existe deux versions (1872, Memorial Art Gallery of the University of Rochester, inv. 1943.11 ; 1872-1873, Fogg Art Museum, Harvard University, Cambridge, inv. 1964.79) pour n’en citer que quelques-uns. La Pauvresse de village est probablement le seul tableau centré sur la porteuse de fagot. Le catalogue raisonné de Robert Fernier (op. cit.) en répertorie deux autres, dans lesquels la fagoteuse n’a qu’un rôle anecdotique mettant en valeur la grandeur du paysage environnant (op. cit., n°736 et 1015). Pauvresse dans la neige semble également le seul tableau montrant des pauvres exposés à un froid intense.

Paysages de neige

« Courbet cède au plaisir de peindre la lumière de ce(s) paysage(s) enneigé(s), et toutes les textures des éléments minéraux ou végétaux à la fois dissimulés et révélés par cette réalité »

(CAT. EXP. 2007-08, P. 398).

« … La neige de M. Courbet n’est ni grise ni bleue, ni jaune, elle est blanche, chose rare dans les effets de ce genre, et le peintre a vaincu cette difficulté presque insurmontable avec un merveilleux instinct de coloriste »

(THÉOPHILE GAUTIER, L’ARTISTE, T. II, 20 SEPT. 1857, PP. 34-35).

L’abondante neige qui tombe sur la Franche-Comté pendant l’hiver 1866-1867 inspire à Courbet tout un ensemble de tableaux. Il écrit au marchand Bardenet le 31 janvier 1867 : « J’ai une série de paysages de neige qui sera semblable à celle des paysages de mer ». Plusieurs d’entre eux – dont La Pauvresse de village – sont présentés à son exposition personnelle à Paris au printemps 1867. Certains sont des scènes de chasse, d’un esprit très différent. En revanche, une superbe toile de la même année et de format similaire comporte de nombreux points communs avec La Pauvresse de village, il s’agit de Braconniers dans la neige (fig. 3, 1867, Galleria Nazionale d’Arte Moderna, Rome, inv. CAL-F-005676-0000) montrant deux silhouettes sombres se détachant sur un fond de neige d’une luminosité aveuglante.

FIG. 3 GUSTAVE COURBET, BRACONNIERS DANS LA NEIGE (GALLERIA NAZIONALE D’ARTE MODERNA, ROME © ALINARI ARCHIVES, FLORENCE, AVEC L’AUTORISATION DU MINISTERO PER I BENI E LE ATTIVITÀ CULTURALI)

Sur la route

Le thème du vagabond, de l’homme qui marche, est à l’époque popularisé par l’estampe et par le roman d’Eugène Sue Le Juif errant (1844-45), l’un des plus grands succès de librairie au XIXe siècle. Par ailleurs, la France est alors confrontée au problème de l’exode rural qui, au milieu du XIXe siècle jette sur les routes des milliers de ruraux, souvent accompagnés de leurs enfants, cherchant à gagner un village, un bourg, voire Paris, dans l’espoir d’y trouver un travail leur permettant de subsister. Le spectacle familier de ces malheureux sur les chemins fascinait tout autant qu’il inquiétait. Plusieurs artistes ont représenté ce sujet, dont Jean-François Millet qui peint Les errants (1848-1849, Art Museum, Denver, inv. 1934.14), ou Honoré Daumier qui a peint et sculpté plusieurs œuvres titrées Les émigrants.

Le thème de l’errance, souvent lié à celui de la pauvreté, intéresse Courbet, lui-même vivant en marge de la société. Grand voyageur et marcheur infatigable, il s’identifie au vagabond, au bohémien, à celui qui marche courageusement vers son destin, et il éprouve une grande sympathie pour les errants. Le premier tableau significatif sur ce sujet est Jean Journet partant à la conquête de l’harmonie universelle (1850, localisation inconnue). On peut y percevoir une forme d’autoportrait : le célèbre « prophète vagabond » disciple de Fourier, est vêtu comme un chemineau et tient à la main le même chapeau et le même bâton de marche que Courbet dans l’Autoportrait au chien noir (1842, Petit Palais, Paris, inv. PPP731). Suivent ensuite la Bohémienne et ses enfants (vers 1854, vente Christie’s New York, 28 avril 2015, lot 11), Le retour au pays (vers 1854, collection particulière) et surtout La rencontre (1854, musée Fabre, Montpellier, inv. 68.1.23) chef d’œuvre montrant Courbet en « Juif errant » croisant le chemin d’Alfred Bruyas dans la campagne. Plus tard, Mendiant faisant l’aumône (1868, Burrell collection, Glasgow, inv. 35.64) reprend une fois de plus ce thème. La Pauvresse de village dont la fagoteuse est, sinon une vagabonde, du moins une pauvre femme qui marche pour chercher de quoi survivre, est incontestablement de la même veine.