Ce tableau intitulé « Le Glacier » est l’une des toutes premières toiles à avoir été peintes en Suisse après l’épisode de la fuite de France par Gustave Courbet. Ce dernier avait tout intérêt à ne donner aucune information sur sa localisation pour éviter les indications malveillantes.

Il s’agit d’une vue du village de Saillon peinte à 100 mètres à peine des Anciens Moulins de Saillon où Courbet a passé les premières semaines de son exil, contrairement à ce qu’écrivent de nombreux biographes. En 1873, Saillon est une commune du Valais de quelques centaines d’habitants située entre Martigny et Sion.

Comme un cerf pourchassé par les chasseurs, Courbet ne reste pas à la lisière de la forêt pour éviter une mise à mort assurée. Il fuit l’hallali et se réfugie à Saillon, la cité protectrice.

C’est aussi près des Bains de Saillon qu’il peint la Caverne des Géants.

 

Historique du tableau :

Le Glacier ou Saillon

 

En 1876, Emile Huber, ingénieur de Sarreguemines achète « Le Glacier » qui devient ainsi son 3ème Courbet, après semble-t-il, « La diligence dans la neige » acquise lors de l’exposition universelle de Metz. Dans le salon de la villa d’Emile Huber était suspendue une toile réalisée en 1869, au moment où le peintre séjournait à Etretat. L’artiste récompense d’ailleurs son fidèle client par un petit autoportrait au crayon.

   

Emile Huber, industriel, archéologue et collectionneur

   

 

Dans l’excellente biographie consacrée à Emile Huber écrite par Didier Hemmert et Gérard Saleron, le Sarregueminois Emile Huber est un personnage protéiforme. Chimiste de formation, il participe activement à la révolution des colorants au milieu du XIXème siècle. Grand capitaine d’industrie, il illustre à merveille la montée de l’ingénieur qui sait répondre à la sophistication grandissante des techniques de production et de gestion. Libéral à l’esprit laïc, voire rationaliste, il ose affronter la bourgeoisie bien-pesante et conservatrice qu’incarne le baron de Geiger. Patriote engagé, il se bat, en 1870, les armes à la main, sous les murs de Metz et de Paris.. Esthète, il collectionne les tableaux de maître. Archéologue et historien, il contribue à une meilleure connaissance du passé de sa région.

 

Admis dans l’intimité de la famille Huber, Camille Massing tombe sous le charme et précise : « Les tableaux de maître fascinaient Emile Huber. Son château en contenait bon nombre, parmi lesquels je citerai un David, plusieurs Courbet, un Corot, des Feyen Perrin, un Gervex, des Jean Béraud. L’étranger ou l’ami qu’il promenait au milieu de ces richesses n’en pouvait détacher les yeux et rendait un hommage bien spontané au sens artistique de ce collectionneur émérite ».

 

 

 

Convoqué en 1894 pour établir l’inventaire des biens d’Emile Huber, un officier de justice est malheureusement beaucoup moins disert; il s’en tient à un relevé statistique d’une sécheresse toute administrative. Par contre, cela permet de suivre l’historique des tableaux de Courbet en particulier « le Glacier » : 

5 Courbet (4500 marks)

1 tableau de Watteau (200)

2 études de Corot (240)

1 David (200)

2 Auguste Feyen Perrin (560)

2 Marie Cornelius (220)

2 Hypolite Petitjean (240)

1 Just Dypelmann (160)

1 Antoine Vollon (300)

1 Paul Bistagne (160)

1 Paul Désiré Trouillebert (200)

1 Diaz de la Pena (900)

1 tableau et 1 esquisse de Charles Jacques (880)

1 lot identique de Jean Béraud (460)

1 Auguste Flameng (200)

1 Antoine Guillemet (200)

1 Hyppolite Fauvel (80)

1 Auguste Allongé (150)

1 Louis Théodore Devilly (400)

1 Charles Roland (80)

1 Adolphe Yvon (150)

1 Alphonse Montchablon (320)

2 esquisses de Gustave Doré (120)

1 collection de Paul Baudry (400)

 

Total de l’estimation sommaire : environ 11500 marks.

Archives Départementales de la Moselle 27 U 159

 

En 1897, le tableau se trouve toujours chez Emile Huber, dans son Château  de Blauberg.

La villa du Blauberg à Sarreguemines.

 

Intérieur de la villa du Blauberg d’Emile Huber.

 

  En effet,  Alexandre Estignard, né à Vuillafans, village voisin d’Ornans, consacre à l’artiste franc-comtois,  un premier catalogue raisonné original intitulé « G.Courbet, sa vie et ses oeuvres ».

Appartiennent toujours à M. Emile Huber : 

  1. Lever du jour (1m60, 0m90) Paysage près d’Ornans. A M. Emile Huber, ingénieur à Sarreguemines.
  2. Source de la Loue (1m10, 1m55) à M. Emile Huber.
  3. Remise de Chevreuils (Hauteur 0m65, longueur 0m82). Au pied d’un rocher garni de trembles et de bouleaux, une mare d’eau. Au centre trois chevreuils. Tableau ayant été roulé et emporté en Suisse après la Commune. A M. E. Huber.
  4. Etretat (1m60, 0m90). Mer transparente, beau ciel. A M. E.Huber.
  5. Le glacier (0m40, om30). Forêt, ruisseau, montagnes couvertes de neige. A M. Huber.
  6. Paysage A M. Emile Huber, ingénieur à Sarreguemines

En lien avec le rapport de police, on peut observer qu’un 6ème tableau s’ajoute à la liste établie en  1894. L’avocat et homme politique Estignard ne signale pas dans son livre la présence du petit autoportrait que Courbet avait donné à son fidèle client Emile Huber en guise de remerciement.

G. Courbet – Sa vie et ses œuvres / A. Estignard / Besançon , Delagrange & Magnus, Editeurs 49, Rue Bersot, 49 / 1897

 

Georges Riat : Gustave Courbet Peintre / Paris, H. Floury, Librairie- Editeur I, Boulevard des Capucines, 1 , 1906.

p. 356 : Le Soleil couchant dans le Valais est digne d’être remarqué (à Mlle Courbet), comme le Paysage des Alpes (à M. de Salverte), la Dent de Jaman, sous-bois (à M. Luquet), comme le Glacier (à M. Huber, de Sarreguemines).

 

Exposition :
Courbet / Tenth Anniversary Exhibition / Marie Harriman Gallery / 61-63 East 57 th Street,
New York / November 7 to December 7, 1940
Assistance pour l’exposition et Introduction du catalogue par M. Albert Lebel
No 24 Le Glacier, 1874
Lent by Mr Edouard Dubreuil

Catalogue original de l’exposition Courbet de la Marie Harriman Gallery à New York de 1940

 

Présentation de Robert Lebel pour la Marie Harriman Gallery de New York, Exposition Courbet, du 7 novembre au 7 décembre 1940
Détail catalogue Marie Harriman, New York, Courbet (1940)
No 24 Le Glacier, catalogue Marie Harriman, New York, Courbet (1940)

 

 

 

 

Le magazine « Art Digest » du 15 novembre 1940 relate l’exposition Courbet de la Marie Harriman Gallery de New York. L’article intitulé « Courbet Faced the Facts and Only the Facts » est illustré par le tableau peint à Saillon « Le Glacier ».

On le date ici faussement de 1874 et le prêteur était Edouard Dubreuil.

Couverture d’Art Digest (1940)

 

Courbet Faced the Facts and Only the Facts » illustré par le tableau peint à Saillon « Le Glacier ».

 

Le Glacier, prêté par Edouard Dubreuil (Marie Harriman Gallery) / Art Digest 15 novembre 1940 p. 7

 

Marie Harriman Gallery

(par Maria Castro, Juillet 2017)

New York, 1930–1945

Située dans la 57e rue est de Manhattan, la galerie Marie Harriman est spécialisée dans la vente d’œuvres d’artistes impressionnistes français et d’art moderne international. Marie Harriman, directrice de la galerie éponyme, de sa fondation en 1930 à sa fermeture en 1942, avait des liens étroits avec le marchand français Paul Guillaume, qui était son principal fournisseur d'œuvres de modernistes européens. 
Au cours de ses douze années d'activité, la galerie a maintenu un programme actif d'expositions comprenant plusieurs expositions sur le cubisme, telles que Exhibition: Braque, Gris, La Fresnaye, Léger, Lipschitz, Marcoussis, Picasso en 1935, ainsi que des artistes tels que Picasso (1931 et 1939), Juan Gris (1932) et Fernand Léger (1941).
Marie et son mari, W. Averell Harriman, étaient des membres éminents de la société new-yorkaise. 
Jackie Kennedy-Onassis, Averell Harriman et Pamela Harriman en 1974


M. Harriman était l'héritier d'une grande société de chemin de fer et le propriétaire d'une société de services financiers prospère de Wall Street. Il a également mené une carrière politique et diplomatique et a été gouverneur de New York de 1955 à 1958.

Marie était la fille d'un avocat prospère de New York et d'une fortune indépendante. Elle s'était d'abord mariée à Cornelius (Sonny) Vanderbilt Whitney, fils du sculpteur Gertrude Vanderbilt Whitney, également fondateur du Whitney Museum of American Art.

Marie Harriman lors d’un discours pour la campagne électorale de son époux, Averell Harriman, futur Gouverneur de New York.




En 1930, les Harriman se sont mariés et ont commencé à collectionner de l'art. Cette même année, Marie ouvre sa galerie. La collection Harriman était axée sur le modernisme européen et comprenait des moments forts tels que Nature morte avec fruits et fruits de Cézanne (1900), Le paysage marin de Georges Seurat à Port-en-Bessin, en Normandie (1888), La petite danseuse de Degas âgée de quatorze ans (1878–81). Nature morte d'André Derrain (1913), Parau na te varua ino (Paroles du diable) de Paul Gauguin (1892), La Dame à l'éventail de Picasso (1905), toutes exposées à la National Gallery of Art, Washington, DC, et Femme se tressant les cheveux(1906; Musée d'art moderne de New York).
Après le décès de Marie en 1972, Averell a fait don d'une sélection de leur collection en mémoire de la National Gallery of Art, où elle est toujours conservée. 

Harriman Gallery (1930-1942).

Archives du American Art Journal 39, no. 1/2 (1999): 3-11.
Une collection de catalogues d'expositions et d'annonces (1932-1942) sont conservés aux Archives of American Art de la Smithsonian Institution.

Source : 

https://www.metmuseum.org/art/libraries-and-research-centers/leonard-lauder-research-center/research/index-of-cubist-art-collectors/harriman-gallery

 

Charles Léger : Courbet et son temps / Les Editions Universelles, Paris, 1948

p. 169 : Tableaux inconnus du Dr Blondon. Certains signalés étaient en dépôt chez des marchands.
p.170
Le Glacier. Signé : G.Courbet (H.0m.40, L. : 0m30). Ruisseau dans la forêt. Montagnes couvertes de neige. A M. E. Huber, château de Blamberg, Sarreguemines.



 

André Fontainas / Courbet / Librairie Félix Alcan / Art et esthétique / Etudes publiées sous la direction de M. Pierre Marcel / 1921
p.118 : Il se laissa tenter par la montagne, la Dent de Jaman, le Glacier, le Soleil couchant dans le Valais…

Robert Fernier / La vie et l’œuvre de Gustave Courbet / Catalogue Raisonné / Tome II / Fondation Wildenstein / La Bibiothèque des arts / LausanneParis / 1978
Page 190
No 930
Le Glacier
Toile. H.0,27 x L.0,41
Signé en bas à gauche : « G.Courbet . »
1873.
Tableau peint dans l’automne de 1873, au cours d’un voyage dans le Valais. Dominée par le glacier du Trient et par le pic de la Pierre-Avoi, le tour de Saillon s’élève au bord d’un
ruisseau, dans un bel effet de contre–jour.

Histoire
Mary Harriman Gallery, New York.- Coll.André Seligman, New York
Expositions
Detroit Institute of Arts, 1947
Illustration
page 191 No 920

 

 

 

Pierre Courthion / Tout l’oeuvre peint de Courbet / Flammarion 1987, 1995, Paris
Page 125
No 929
LE GLACIER.
New York, Coll. André Seligman
h/t; 27 x 41; signé en bas à gauche : “G.Courbet”; 1873; F930
Table au exécuté à l’automne de 1873, lors d’un voyage dans le Valais : Il s’agit du glacier du
Trient.
Illustration p. 125

Exposition : Détroit
The Detroit Institute of Arts
A Loan Exhibition of French Paintings
XVII – XX Centuries
The Detroit Institute of Arts
March 6 th through 30 th , 1947
Page 3
Courbet Gustave (1819-1877)
Le Glacier. Oil on canvas, 16 ¼ ‘’x 10 ¾’’
Lent anonymously
But : Récolte de fonds des USA pour venir en aide à la France (reconstruction du centre de la
ville de Rouen).

Collection
Docteur Emil Fraehlicher, New York
Gallery Stephen Hahn, New York ( ? )

Vente Christies
New York
20,Rockefeller Plaza
19 th century European Art
Wednesday 30 October 2002 1136/1112
Lot 20
Page 38 illustration

 

Descriptif :

Courbet a représenté une vue du village de Saillon en Valais. Ce paysage suisse est l’un des premiers à avoir été exécutés lors de l’exil en 1873. On distingue  au premier plan la rivière qui coule entre Saillon et Leytron. Il s’agit de la Salentze ou Salence. A gauche une forêt laisse apercevoir la Tour Bayard qui trône au sommet de la colline du bourg médiéval. Un peuplier masque partiellement l’église paroissiale. On peut distinguer quelques bâtisses de l’antique nid d’aigle savoyard comme l’hospice Saint-Jacques. En haut à gauche, la Pierre-à-voir, célèbre montagne qui veille sur la vallée du Rhône dominée par les glaciers du Trient et les Aiguilles du Tour, aux portes de la France, à quelques lieues de Chamonix.