Ici le journaliste du Chroniqueur du 8 août 1874 reprend la critique assassine de son confrère genevois.

CANTON DE FRIBOURG

M. Courbet comme peintre.

Comme il a beaucoup été question de Courbet ces jours passés, et qu’il menaçait même de s’acclimater à Fribourg où il compte de fervents adorateurs, étudions un peu cette personnalité au point de vue artistique, et faisons la revue des succès… négatifs qu’il remporte chez nos Confédérés.

C’est à Genève que nous le trouvons maintenant, figurant par trois toiles à l’exposition suisse des Beaux-Arts. Un critique genevois salue en ces termes l’apparition du chef de l’école réaliste :

« Nous faisons rapidement le tour de la salle, notant au passage ce qui nous frappe ou nous attire, mais sans nous astreindre à aucun ordre régulier. Encore une fois, c’est une causerie de promenade et rien de plus. !

« M, Courbet n’est pas des nôtres, nous voulons dire qu’il n’a rien qui le rattache aux artistes suisses. En matière d’art comme en politique, le système qu’il professe et qu’il applique ne semble pas destiné à faire école chez nous ; notre éducation intellectuelle ne se prête pas à celte négation de tout idéal, à cette matérialisation à outrance qui se permet de s’appeler réalisme, comme s’il n’y avait de réel au monde que le trivial et la vulgarité. Le chef de cette école dédaigneuse d’un passé qu’elle ne peut ou ne veut pas comprendre, a bien voulu nous donner trois échantillons de son système et de son talent : un veau, des poissons, une grotte. Le veau est splendide : embonpoint, le poil épais, l’œil bête et terne, il semble mûr pour l’abattoir; c’est d’ailleurs brossé de main de maitre, mais cette viande de boucherie vaut-elle les 11,000 francs demandés ?…

Les poissons sont peints dans un ton brun sous l’uniformité duquel on voit briller le luisant des écailles: il y a là des habiletés de mélier incontestables, seulement ces truites de 7,000 francs ne sont pas même des truites.

Quant à la Grotte des Géants, près Saillon en Valais, avec ses rochers modelés en caricatures il est impossible d’y voir autre chose qu’une plaisanterie aussi enfantine que dépourvue de sel. En résumé, si le système peint bien, il manque totalement d’esprit. Nous avons cependant vu quelque part de M. Courbet certain lac gris dormant sous la clarté d’un brûlant coucher de soleil. Malgré le système, il y avait là une grande et forte poésie. M. Courbet a dû se repentir de ce tableau ; il a craint qu’on ne l’admirât et comme il préfère scandaliser le public, il nous a donné son veau, sa grotte et ses poissons, le tout coté 20.000 francs. Nons croyons qu’il n’a scandalisé personne; mais nous serions surpris qu’il fit ses frais.

A Fribourg, on a le goût raffiné. On admire le peintre, on s’extasie devant l’homme politique.